samedi 22 novembre 2025
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SÉNÉGAL – “Tout l’univers dans la tête” ou de tocard à héros de Kounda

Il faut être un Yacouba pour porter “Tout l’univers dans la tête”. Kounda n’est pas un Yac, un Yacouba. Mais, il ne s’en sort pas si mal. Avec ce roman, Kounda nous projette en 2040 dans un Abidjan qui n’est pas si différent du nôtre. Ce roman se lit comme on boit le dernier verre de gbèlè qui va nous mettre (au) tapis.


Alors voilà. Nous sommes en Côte d’Ivoire, quelque part à Abidjan, dans les années quarante – du siècle en cours. Nous ne savons pas à quel moment les extraterrestres ont débarqué. Mais, ils sont là : ils parlent, jugent, demandent des conseils aux humains. Parfois. Souvent. Pendant ce temps, les Abidjanais, eux, picolent, s’envoient en l’air, pour finir en chute libre, fracassés dans les caniveaux, avec une gueule de bois bien carabinée. Et au milieu de cette fresque – ou de ce foutoir, ou de ce bordel, c’est selon – il y a un type paumé. C’est le narrateur. Et, comme il n’a pas de nom, on va l’appeler : le mec au mojito.

Le mec au mojito est un mec banal, atrocement quelconque. Bref, c’est un raté. Toute sa vie se résume à un mot : regret. Lâché par ses rêves, constamment ivre, il parle trop, il rit mal. Il bande quand il ne faudrait pas. Il parle comme un stand-upper maladroit. Il a cette ironie désespérée de ceux qui savent qu’ils saoulent tout le monde avec des blagues stupides, mais qui continuent, quand-même, à faire des blagues. Parce que c’est tout ce qui leur reste.

Et puis Élisa. Biologiste. Sexy. Brisée. Avec un sourire bandant et un corps qui scintille comme une étoile avant une supernova. Elle arrive – au fond d’un “bar moite” – comme un contrepoint, une lumière fêlée. Et pendant que le monde vacille… et pendant qu’un lézard cosmique – le fameux Yac – tente de plaider qu’en exterminant l’humanité, il a voulu la sauver, elle, elle est là. Présente. Inutile. Essentielle. C’est ça : à la fois inutile et essentiel. Asymptote terrible. Elle ne crée rien, mais rien ne peut se créer sans elle.

C’est ça, la force de Kounda : ce refus de choisir entre le grotesque et le sublime. Il veut tout. Des gbaka en panne, des tchoins mal maquillés, du koutoukou mal distillé, des juges cosmiques, risibles et ridicules, et des écrivains ratés qui ressemblent étrangement aux écrivains lacustres, lagunaires, ivoiriens. Il mélange tout. Il jette. Il déborde. Et oui, ça gueule. Ça radote. Ça répète. Mais ça vit. C’est une langue qui ne tient pas en place. Une langue, pas celle du 18e siècle français, mais une langue qu’on entend avant de la comprendre. Une langue cassée. Vraiment. Une langue de bar et de bagarre. Une langue de survie. La langue des Abidjanais qui, quand elle frôle le clitoris de l’émotion, met les sens en feu.

Et c’est peut-être là, dans ce chaos, qu’émerge une question. Non pas une réponse, jamais. Mais une vraie question : pourquoi sauver un monde qui fait tout pour précipiter sa chute ? Pourquoi aimer quand tout est foutu ? Pourquoi écrire quand personne ne lit… lira ?

Et on sort de ce livre on a le sentiment que quelque chose a bougé. Changé en nous. Autour de nous. Qu’on a approché une forme d’humanité à la dérive. Bon, je vais me répéter. Si vous aimez la prose sage, les intrigues bien ficelées, les héros héroïques, passez votre chemin. Mais si vous avez le goût du vertige, du vin tiède, de la parole blessée alors ce livre est pour vous. Pour nous. Pour ceux qui savent que rire, parfois, est tout ce qu’il reste.

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