“Le Mandat du Chaos” de Marcel A. Monteil décrit, et parfois analyse avec une grande lucidité, les maux qui minent une Afrique contemporaine, infestée comme un corps cancérisé par la tumeur du népotisme, du clanisme, de la gabegie financière, du populisme frelaté – escorte de la bonne vieille dame dépravée aux tétons nécrosés, qui, trop longtemps, a été sucée par des imbéciles libidineux se croyant indispensables à l’avenir d’un pays : la corruption –, et qui n’a rien appris de ses héros comme Massa Kankan Moussa ou Soundiata Keïta.
Paru aux éditions Kanguere, dans la commune de Diakhao (département de Fatick), et préfacé par l’expert en communication Babacar Ndoye, “Le Mandat du Chaos” de Marcel A. Monteil est un recueil court mais dense – à peine une centaine de pages. Il convoque les morts et interpelle les vivants, à la manière d’une sourate adressée à une Afrique rongée par les inégalités sociales et les absurdités de certaines ambitions politiques.
Ce recueil – un ensemble de récits poétiques et engagés, épiques (Le Mandat du Chaos, Le Chant d’exil…) – pointe du doigt le délitement des mœurs et des mentalités de la bourgeoisie politique africaine. Et, comme piqûre de rappel, il convoque de grandes figures historiques comme Soundiata Keïta et Taytu Betul.
J’ai lu, dans un article de presse en ligne il y a quelques jours, que ce livre “invite à réfléchir sur les défis des villes africaines, notamment Dakar, confrontées à l’urbanisation rapide, aux inégalités sociales et aux crises environnementales.” Je vais faire un peu de polémique. Je veux dire : ce livre, au fond, se fiche bien de “Dakar” ; c’est un prétexte. C’est un kaléidoscope de nos comportements sociaux, économiques et politiques ; un miroir dans lequel se reflètent nos joyeuses perfidies, nos idioties abyssales et nos plus crasses vanités.
Mais ce livre n’est pas qu’un passage à tabac des élites africaines. Non. Il parle aussi de ces déserteurs – des bras valides et des cerveaux bien faits – qui poursuivent le mirage-eldorado pour finir noyés dans la Méditerranée. D’eux aussi, il parle. Et il pose cette question, qui brasille comme un éclair dans un gros orage : “Pourquoi affronter les tempêtes de l’océan, quand une telle bravoure pourrait servir à renverser les mauvais rois ?” Il ne dit pas “président” ; il dit “roi”. La nuance est là.
Enfin, il faut que l’Afrique, qui a tout d’un dragon, cesse de demander le briquet aux Occidentaux pour fabriquer son feu. Oui, je sais : je force un peu sur les images. Pour ceux qui ne le savent pas, un dragon a trop de feu intérieur pour quémander une simple flammette. Comprendra qui voudra. Bref, il faut que l’Afrique s’arrache cette tunique de Nessus, cet héritage colonial, qui l’amène à pisser sur ses propres héros (Soundiata Keïta, Kimpa Vita, Sankara, Taytu Betul, Biko, Cheikh Anta Diop…) et à se complaire à sucer les héros des autres.
